Alors que le Salon International de l’Agriculture ferme ses portes avec 611 000 visiteurs cette année, il nous reste le Saint Amour. Le vin, certes, mais aussi le film. Saint Amour, c’est l’espoir agricole, c’est l’élégance du paysan, c’est terrible et désolant. Saint Amour, tu nous prends aux tripes. Saint Amour, c’est un road movie entre un père et un fils attachant, incapable de communiquer. Saint Amour, il s’échappe de sa réalité : viens, on va prendre la réalité et on va rencontrer des gens. Des images très dures, de l’amour à l’état pur. Forcément, cela me touche.
Rencontre avec Benoît Delépine et Gustave Kervern au Cinéma Comédia où le film est à l’affiche depuis le 2 mars.
Une envie de revenir en terre connue ?
Benoît : On avait envie de revenir à nos origines cinématographiques avec un film minimal : l’aventure d’un père et d’un fils au salon de l’agriculture intra-muros, mais comme le film se terminait malheureusement par un suicide paysan, c’était un drame social et on n’a pas eu le droit de tourner dans le salon ! Cette ambiance unique au monde avec les jeunes, les vieux, les parisiens, les provinciaux… On avait besoin de ce cinéma expérimental sur le malaise. On l’avait fait avec Michel (Houellebecq) et on était très attaché à cette trame de film au SIA. Sur un joie, Gustave a lancé un jour :
Et si on faisait une route des vins avec Poelvoorde et Depardieu ?
Gustave : C’était un défi, avec l’ambiance, le bruit… On a fait resurgir l’idée, même si c’était impossible de tourner uniquement au SIA un film entier. La première trame était le Boeuf de Kobé.
B : Les contraintes du salon ont fait voler beaucoup de choses ! On ne leur a pas dit qu’on allait faire autant de scènes de comédie, on devait faire des scènes d’ambiance… On a obtenu leur autorisation comme ça ! C’était vraiment une gageur, très particulière, on s’est doté d’une deuxième caméra. On cachait nos 2 acteurs fétiches derrières les piliers et on les mettait dans l’arène ! Certaines scènes, on peut même voir les flashs sur leurs visages : tout le monde les voulait en photos.
G : On a slalomé avec les autorisations du salon, les gens, les éleveurs…
B : Ce sont de vrais cochons ! A chaque fois, on fonçait ! Ils ont vraiment été sympas, les éleveurs.
Comment dirigier Poelvoorde et Depardieu ?
Gustave : Heureusement, on avait déjà travaillé avec les 2 ! On s’en souvient encore, ils ont une forme de complicité étonnante, on savait que ce serait complexe. Sans aucun vécu avec eux, ce serait compliqué. Gérard a une oreillette et respecte le texte au mot près. Benoit, c’est dans son jeu, il prend certaines libertés, il peut remplacer un mot par un autre, mais le sens est là.
B : Dans la voiture, c’était un enfer pour nous, mais ils arrêtaient pas de déconner !
G : Une part d’impro, mais on n’a jamais été de grands directeurs d’acteurs dans le sens où c’est vraiment pas la peine de les diriger.
B : Ils ont un sens du jeu extraordinaire ! Benoît par exemple il est son personnage, il reste dans son personnage tout le temps !
G : Le but, c’est de leur laisser la liberté.
Nous, on libère les lions.
G : D’habitude, ils sont dans un zoo. Là, on les lâche dans la jungle. Ils ont de l’espace, ils ont quand même des barrières, mais loin. Ils prennent du plaisir à avoir cette liberté. Donner un maximum de liberté à des acteurs qui n’ont vraiment pas besoin qu’on leur dise quoi faire. D’ailleurs on s’attache plutôt à ceux qui sont non-acteurs, on les coach beaucoup plus.
Benoît : Notre but, c’est d’arriver à choper des moments de grâce. Ma scène préférée, quand ils sont dans la voiture tous les 3, à essayer d’accrocher le regarde de Céline, on dirait que Gérard a 12 ans, avec des yeux d’une innocence.
Arriver à attraper cette hallucination collective, c’est notre petite victoire.
B : Au SIA, on a eu des super contacts avec les agriculteurs. Il faut quand même le faire de prêter son taureau d’une tonne et demi !
Le choix de Michel Houellebecq et Vincent Lacoste ?
Gustave : Au départ, c’était Michel pour le chauffeur de taxi mais il a dit non. On a trouvé que c’était bien d’avoir 3 générations avec un titi parisien très jeune, effronté, avec une suffisance… On est jamais déçu !
Benoît : Vincent Lacoste avait travaillé avec Gérard c’est quand même un atout. C’est quelqu’un de vivant, ils sont tellement différents, pas de rivalité !
G : Gérard a en général beaucoup d’a priori négatifs sur les comédiens, c’était un problème de moins ! Pour faire un rôle de mec bourré, il faut boire un peu mais le problème, il fallait tenir Benoît dans les stands, le serrer à la culotte. On a trouvé ce seul moyen pour que je sois là, toujours prêt, en renforts pour embrayer.
B : C’est fou ce qu’on a fait : 20 mn de film tournés en 2 jours et demi pendant le SIA quasiment en caméra cachée ! Réussir à faire ça, c’est de la folie ! Si on avait un troisième acteur avec un égo, on s’en serait pas sorti. C’est hyper crevant, un film, et le fait d’être à 2, c’est un bonheur.
G : Les mecs qui se retrouvent tous seuls devant Poelvoorde et Depardieu, c’est impossible, il faut être armé ! Ils déconnent tellement… Tout est difficile et à la fois, on les a choisis pour ça, ils sont hors normes, et c’est ce qui nous intéresse. Le soir, on était contents ! Tous les jours, une comédienne magnifique arrivait. quand Michel est arrivé, très sobre dans tous les sens du terme, ils étaient en furie les deux, c’était la folie. On a l’impression de devenir dingues.
Il faut savoir qu’un tournage avec eux, c’est comme un asile de fous.
Saint Amour, une ode à l’amour et au vin ?
Benoît : Ivre ou Amoureux, c’est pareil, c’est la même partie du cerveau (il sort un bout de papier de son agenda) C’est une revue scientifique de Birmingham, c’est scientifiquement prouvée ! C’est l’O-CY-TO-CI-NE, elle favorise altruisme, générosité et sympathie (il lit…)
G : Actor Studio ? Non, non c’est du vrai vin blanc. Les 10 stades de l’ivresse : tout le monde se reconnaîtra euphorie, vous aimez tout le monde, pui … la honte ! Cette honte, vous pouvez l’avoir à n’importe quel moment, quand on a bu un verre, on parle de ses secrets. Le génie d’un homme derrière son alcoolisme ? Ce qui m’intéresse, c’est l’homme derrière l’alcool. Ces sujets me touchent. Ce sont les hommes, le rapport qu’ils ont. L’alcool est toujours assimilé à une forme d’échec, je ne suis pas là pour faire l’apologie de l’alcool, mais cela nous aide tous à sortir de notre pauvre petite condition.
B : D’ailleurs, voici un pot de vin officiel ! (merci pour la bouteille)
Les femmes, le sel de la vie ?
B : Andréa Ferréol on voulait la faire travailler depuis longtemps. Céline Sallette aussi. On était trop contents quand elle a dit oui ! Solène Rigot on avait flash sur elle dans Tonnerre. Ovidie assure grave, elle avait fait partie du festival Grolandais à Toulouse. Elle avait tenu tête à toute le monde sur les origines du punk, c’est un vrai caractère. Elle est là face à Benoit, marmoréenne.
G : on voulait pas tomber dans le film de pochtrons, ni de repentis, ni un film d’amour un peu tâche, ni tomber dans la comédie. A l’écriture déjà, on essaie de ne pas aller dans un mélo, mais dans plusieurs sortes de films sans tomber dans un genre particulier. Jamais dans la grosse comédie, ni dans le drame, mais dans l’équilibre.
B : on veut pas en faire trop, ni faire sirupeux.
Et Sébastien Tellier ?
Benoît : C’est un choix qu’on ne regrette pas ! C’est quand même un personnage étonnant, on avait même pensé à lui en tant qu’acteur. On est tombés sous le charme ! Il habite Montmartre vers les vignes, on lui a envoyé le scénar et quand on l’a rencontré, tout de suite, une évidence avec déjà des morceaux écrits !
G : Il est extraordinaire. Notre idée, c’était d’aller dans l’électro…
B : La musique, c’est pas forcément ce qu’on aurait pu attendre de lui… On lui a laissé la liberté comme aux acteurs, et avec sa voix de cantatrice, il a une façon de travailler très efficace. C’est un bonheur de travailler avec lui.
G : Ex-fumeur de pétard, il garde une coolitude affirmée !
Où est le cool ? Forcément à Saint Amour. Filez le voir après un bon apéro entre amis, vous ne serez pas déçus.
Synopsis : Tous les ans, Bruno fait la route des vins… sans quitter le salon de l’Agriculture ! Mais cette année, son père, Jean, venu y présenter son taureau champion Nabuchodonosor, décide sur un coup de tête de l’emmener faire une vraie route des vins afin de se rapprocher de lui. Et s’ils trinquent au Saint-Amour, ils trinqueront bien vite aussi à l’amour tout court en compagnie de Mike, le jeune chauffeur de taxi embarqué à l’improviste dans cette tournée à hauts risques entre belles cuvées et toutes les femmes rencontrées au cours de leur périple…
Sortie en salles : 2 mars 2016
Un film joyeux et féroce de Benoît Delépine et Gustave Kervern avec Gérard DEPARDIEU, Benoît POELVOORDE, Vincent LACOSTE et Céline SALLETTE… Bande-annonce ICI
Séverine Eberhardt.
Merci pour ce post passionnant. C’est carrément très sympa de voir que d’autres ont cette passion ! Merci encore de transmettre votre passion.